Par Lokombe Nkalulu
Lorsqu’un Africain décide de quitter son pays pour aller vivre en Europe ou en Amérique, il est presque systématiquement désigné comme un immigrant. Un mot lourd de connotations sociales et politiques, souvent associé à la pauvreté, aux flux migratoires illégaux, à la crise de l’accueil ou encore à l’assistanat. En revanche, lorsqu’un Européen ou un Nord-Américain s’installe en Afrique, il devient spontanément un expatrié — un terme valorisant, qui évoque l’expertise, l’aventure choisie, ou le privilège culturel.
Une asymétrie qui interroge
Cette distinction linguistique n’est pas neutre. Elle reflète une asymétrie profonde dans la manière dont les mobilités humaines sont perçues, selon qu’elles viennent du Nord ou du Sud. L’« expatrié » est perçu comme un porteur de savoir, un professionnel mobile, un contributeur au développement. L’« immigrant », quant à lui, est souvent vu comme un problème à gérer, une masse à intégrer ou un chiffre dans les statistiques.
Pourtant, la réalité est souvent tout autre. Un jeune ingénieur congolais qui part travailler à Berlin, un chercheur malien accueilli à Harvard ou un médecin sénégalais recruté à Toronto n’ont rien à envier, en compétence ou en mérite, à leurs homologues venus s’installer à Abidjan, Nairobi ou Johannesburg. Mais dans le langage courant, ce ne sont pas eux que l’on appelle « expatriés ».
Un héritage colonial toujours vivant
Cette différenciation dans le vocabulaire est héritée d’une histoire coloniale qui continue d’influencer les imaginaires. L’homme blanc qui « va en Afrique » est encore inconsciemment vu comme un bienfaiteur, un explorateur, un investisseur. Tandis que l’Africain qui va « en Europe » est vu comme un demandeur, un passager, parfois un intrus.
Il est temps de remettre en question ces représentations figées, souvent reproduites sans réflexion par les médias, les institutions et même les administrations.
Les mots ont un poids
Les mots ne sont jamais innocents. Ils créent des récits, façonnent des politiques, influencent des lois. Et en matière de migration, ils participent à la construction d’un imaginaire mondial déséquilibré, où la mobilité du Nord est valorisée, tandis que celle du Sud est problématisée.
Changer de regard, c’est aussi changer de vocabulaire. Appeler un chercheur ivoirien à Montréal un « expatrié », reconnaître qu’un consultant français à Dakar est aussi un « immigrant », c’est rééquilibrer les récits. C’est redonner de la dignité à toutes les formes de mobilité, quelles que soient leur origine.
Redéfinir le langage, c’est redessiner les frontières de la reconnaissance.
